Il était une voix, Thierry Bonnafous
Extrait lu par l'auteur



Extrait de Il était une voix, Thierry BONNAFOUS. Tous droits réservés.

Mon enfance s’est étirée le long des rives de l’Alagnon. L’Alagnon, ça ne doit rien dire à personne sauf aux derniers Auvergnats du cru. Pour les autres, le nom de cet affluent de l’Allier n’est sans doute qu’un éphémère compagnon de culture, un « sept lettres » croisé dans une grille de mots. Mais pour moi, l’Alagnon c’était mon horizon quasi quotidien. Depuis la cour de l’école, on le voyait s’écouler en contrebas, inlassable autant qu’insaisissable. Depuis ma chambre, je l’entendais vrombir en fougueuses cascades, tourbillonnant entre les roches, bouillonnant d’une fausse intrépidité.
La rivière était aussi vive que je paraissais éteinte. C’est là le destin des enfants trop bien nourris. Quand l’Alagnon impressionnait même avec ses eaux maigres d’été, parvenant toujours à arracher des cris de surprise aux touristes de passage, moi je m’enfonçais dans un tombeau pyroclastique, couvée par la masse sombre des volcans. J’étais immobile, insensible, enfermée dans un silence profond.
La faute à celui qui, le premier, m’avait lancé : « T’es qu’une grosse ! ».
Lui c’était Gilles Renard. Gilles ! Il n’y a bien que dans nos contrées rurales qu’on baptise ainsi les enfants. Si Gilles était né à Paris, à Lyon, à Nantes ou dans quelque autre grande ville du pays, il se serait sans doute appelé Nicolas ou Kevin ou, avec un peu d’audace de la part des parents, Aurélien. Mais Gilles, né ailleurs, n’aurait pas réagi autrement. Une gamine de 10 ans qui pèse 60 kilos pour 1m40 est pour la science médicale qualifiée d’obèse. Pour un camarade de cour d’école, elle est « grosse » et puis c’est tout !