A poil, Isabelle Vallon.
Extrait lu par l'auteur



Extrait de A Poil, Isabelle VALLON. Tous droits réservés.

Pierre devait avoir je ne sais pas, un truc comme deux ans. Il en a neuf la semaine prochaine, ça devait être il y a sept ans, peut-être huit, bon bref.
En tout cas, il était en poussette, ça je m'en souviens.
On était rue du Grand-Cerf, on roulait, surtout lui, vers la Place du Marché où, j'imagine, on était garé. Quasiment au bout de la rue, j'ai vu deux personnes regarder en l'air, deux personnes dont l'une montrait du doigt quelque chose à l'autre. Bon. Rien d'extraordinaire. J'ai dû penser qu'un appartement était à louer, une gouttière à changer. Ou ne rien imaginer du tout en fait, parce que rapidement d'autres passants, plus proches, mieux orientés mieux situés, enfin plus proches quoi, ont fait comme moi, enfin comme moi j'aurais fait si j'avais eu la chance d'être à leur place.

D'abord une, puis deux, puis toutes, toutes les têtes se sont tournées vers un seul point, en l'air, muées par un mimétique réflexe de curiosité et comme enjointes par une même rumeur, une même urgence. Ils étaient stupéfaits. Statufiés, déjà. Et stupéfaits. Des mains ont été placées devant des bouches, des yeux se sont exorbités. En tout cas les pas se sont ralentis, puis arrêtés. Je n'ai pas dû oser accélérer les miens, mais j'ai sans doute serré davantage les poignées de la poussette, me demandant ce qu'il pouvait bien y avoir. J'ai sûrement pensé un truc dans le ciel. Non non, c'était avant le World Trade Center, c'était avant le Concorde, donc je n'ai pas forcément pensé à un avion, non, plutôt à un truc nature, genre un oiseau coincé, en train de crever sur un toit, quelque chose comme ça. Ou un chat.